Comment gérer la pénurie de vaccins ou les touristes, alors que le continent est confronté à une troisième vague d’infections ?
le variant Delta est en train de changer le cours de la pandémie sur le continent africain. Jusqu’ici relativement épargnés par le Covid-19, de nombreux pays africains font désormais face une troisième vague. « La vitesse de contamination et l’ampleur de la troisième vague qui touche l’Afrique ne ressemblent en rien à ce que nous avons connu jusqu’à présent. La propagation galopante de variants plus contagieux modifie considérablement la nature de la menace qui pèse sur l’Afrique. Une transmissibilité plus forte signifie une augmentation des formes graves de la maladie et davantage de décès. Il faut donc que nous agissions, dès à présent, pour renforcer les mesures de prévention et éviter qu’une situation d’urgence ne se transforme en tragédie », a déclaré le 1er juillet 2021 la directrice régionale de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour l’Afrique, le Dr Matshidiso Moeti, lors de la conférence de presse hebdomadaire de l’organisation. Voilà les réponses à cinq questions que vous vous posez peut-être sur la résurgence de la pandémie en Afrique et les nouveaux impératifs auxquels doivent faire face les Etats pour la gérer.
Quels sont les variants sur le continent africain ?
Les variants Alpha et Bêta, considérés comme « préoccupants », dominent actuellement en Afrique, selon l’Organisation mondiale de la santé. Ils ont été respectivement signalés dans 32 et 27 pays. Le variant Alpha a été essentiellement détecté dans le nord, l’ouest et le centre du continent. Le variant Bêta est plus répandu en Afrique australe. « Le niveau de transmissibilité de ces deux variants est supérieur à celui présenté par le virus originel », selon l’OMS. Delta, responsable de l’intensification du Covid-19, est présent dans 16 pays, « y compris neuf pays qui ont signalé une forte recrudescence des cas ». Il est très présent en Afrique du Sud qui enregistre le record d’infections sur le continent. Selon l’Organisation, « il s’agit du variant le plus contagieux jamais détecté, qui présenterait un taux de transmissibilité de 30% à 60% supérieur à celui des autres variants ».
Vacciner avec la même méthode que celle appliquée à Ebola ?
La méthode de vaccination utilisée pour combattre la maladie à virus Ebola permet de s’attaquer à un éventuel foyer d’infection. Y recourir peut-il être une solution pour pallier la pénurie de sérum contre le Covid-19 en Afrique ? La réponse est « non ». « Dans le cadre d’Ebola, nous avons eu recours au Ring vaccination (la vaccination en anneau), explique le Dr Richard Mihigo, le coordonnateur du programme Vaccination et mise au point des vaccins au Bureau régional de l’OMS pour l’Afrique. Nous n’avions pas beaucoup de cas et quand nous en avions isolé un, il était plus facile de rechercher les contacts et de vacciner les contacts des contacts. » La situation est « plus complexe » en ce qui concerne le Covid-19. « La transmission est déjà communautaire : il est très difficile de savoir qui est infecté ou pas parce qu’on peut avoir la maladie, rester asymptomatique et continuer à la transmettre. La stratégie de vaccination en anneau ne peut malheureusement pas s’appliquer au Covid-19 parce qu’il est difficile d’appliquer les mêmes principes d’identification des cas et des contacts et de vacciner tout ce monde pour essayer de limiter la transmission. » « Ici, conclut-il, il vaut mieux prévenir et vacciner tout le monde, en tout cas les populations éligibles pour éviter que cette transmission continue de s’élargir. »
Quid de l’homologation en Europe de Covishield d’AstraZeneca ?
Dans le cadre de son pass vaccinal obligatoire depuis le 1er juillet 2021 et qui permet de circuler au sein de l’Union, l’Agence européenne des médicaments ne reconnaît pas le Covishield. C’est le nom du sérum d’AstraZeneca produit en Inde et distribué en Afrique, notamment dans le cadre de l’initiative Covax qui vise à mettre à disposition des pays les moins nantis les vaccins contre le Covid-19. Une mesure discriminante pour les ressortissants des pays africains que l’Union africaine a déjà décrié. « Nous estimons que les vaccins qui ont reçu une autorisation d’utilisation en urgence par l’OMS sont aussi valides que ceux approuvés par l’Agence européenne des médicaments, a réagi le Dr Richard Mihigo. Le processus qu’elle utilise est le même que celui utilisé par l’OMS. Très souvent, les vaccins autorisés par l’Agence européenne des médicaments sont a priori destinés à être utilisés dans l’espace de l’Union européenne. » Cependant, AstraZeneca est un vaccin « qui est produit sur différents sites – Royaume-Uni, Corée du Sud, Japon, Etats-Unis, Inde pour le cas de Covishield ». « Nous pensons qu’après l‘homologation de l’OMS pour ce vaccin, estime le Dr Mihigo, la plupart des pays devraient le reconnaître. Les choses bougent déjà : sept pays de l’UE vont homologuer le Covishield, y compris la Suisse qui n’est pas membre de l’Union européenne. Le Conseil de l’Europe a été très clair en demandant aux pays de l’UE de reconnaître les vaccins homologués par l’OMS. Nous espérons que cette situation va se décanter dans les jours qui viennent ». D’autant qu’elle « a pour conséquence d’aggraver la défiance que certains pays avaient contre se sérum. »
Comment gérer les flux des voyageurs Nord-Sud ?
L’OMS préconise la vigilance des Etats et le respect des règles par les touristes. Ceux originaires des pays les plus développés, pour la plupart vaccinés, peuvent séjourner en Afrique et entrer en contact avec des populations peu immunisées à qui ils peuvent éventuellement transmettre la maladie. « Nous encourageons à l’adoption et au renforcement de toutes les mesures de santé publique, de distanciation physique », répond le Dr Thierno Balde, chef de l’équipe de partenariats opérationnels au Bureau régional de l’OMS pour l’Afrique. « Nous en appelons à la vigilance des pays, mais aussi au respect de ces règles par ces personnes qui voyageraient du Nord vers le Sud. Nous, nous sommes encore dans une phase extrêmement sensible et difficile« .
Pourquoi les gestes barrière ne peuvent plus suffire à protéger les Africains ?
Jusqu’ici, les mesures sanitaires étaient la seule modalité pour se protéger du Sars-Cov-2. Plusieurs raisons contribuent désormais à les rendre insuffisantes. « D’abord, cela fait plus d’un an et demi que cette pandémie perdure dans nos pays et dans le monde entier, note le Dr Thierno Balde. L’adoption de ces mesures est relativement contraignante et, par conséquent, entraîne une certaine fatigue chez les populations. Deuxième élément : les pays les plus affectés sont ceux situés dans l’hémisphère Sud, à savoir les pays d’Afrique australe qui connaissent actuellement des saisons plus froides. Ce qui explique la sensibilité des populations à la maladie et le développement de formes sévères. Troisième facteur : la circulation concomitante d’autres variants, notamment le Delta qui a une transmissibilité beaucoup plus importante. » Selon le médecin, l’OMS suit de près l’évolution « de ces dynamiques » afin « d’ajuster l’appui » donné aux pays. « Pour compenser ce déficit que l’on a en termes de vaccination, il y a lieu de renforcer les mesures sur lesquelles on a une certaine emprise, a savoir disposer de meilleures capacités de traitement et donner les moyens aux populations d’adopter les gestes barrière. »