Virgile Rochat regrette que nos sociétés se privent des trésors culturels et spirituels charriés par les traditions religieuses.
La spiritualité oui, la religion non? C’est très souvent en ces termes que se pose le débat, voir le conflit entre deux réalités pourtant très voisines. L’air du temps affirme la spiritualité bonne, libre jaillissement, porteuse de vie, à découvrir et explorer sans retenue. Ce même air du temps décrète la religion lourde, enfermante, à fuir sans hésitation…
La spiritualité. Les deux lettres «sp» que l’on trouve dans toute une série de mots désignent le souffle. Concrètement: inspirer, respirer, mais aussi des mots abstraits: esprit et bien sûr spiritualité. La spiritualité postule l’existence de réalités invisibles, non matérielles. Ainsi la spiritualité consiste en une recherche de sens, d’équilibre, de santé aussi bien physique que psychique, de relation avec le cosmos, avec l’Ultime. C’est une quête libre, essentiellement individuelle (même menée à plusieurs). Elle se nourrit de lectures de traditions diverses, et peut pratiquer toutes sortes de rites s’ils correspondent aux besoins personnels attendus.
«Une religion serait une spiritualité qui a réussi et qui se stabilise.»
La religion, elle, recouvre presque toutes les caractéristiques de la spiritualité, mais les socialise, les institutionnalise, les politise aussi. Les deux étymologies possibles, relier (religare) ou relire (religere), indiquent qu’il s’agit à la fois de relier l’humain avec le divin et les humains entre eux ainsi que donner les moyens de (re-)lire sa vie, de trouver un sens.
Globalement, la notion de religion repose sur trois principes: des vérités à croire (les dogmes), des gestes à accomplir (les rites) et des comportements à adopter (une morale). Les religions (il y en a plusieurs!) s’inscrivent dans la grande histoire se déploient dans les arts (architecture, peinture, musique, etc.). D’une certaine manière, on peut dire que les religions sont une socialisation des spiritualités. Une religion serait une spiritualité qui a réussi et qui se stabilise.
Trois causes de refus
Religion et spiritualité: pas besoin d’être grand clerc pour constater l’actuel refus (et reflux) des religions et du religieux. On repère trois causes importantes. Il y a le fait que les religions établies sont des institutions qui, comme les autres institutions, sont synonymes de lourdeur et d’immobilisme, donc peu attractives. La deuxième cause, assez voisine, est le résultat de la récupération politique qui en a été faite et son instrumentalisation au profit des dominants. Et enfin souvent l’incohérence, la distance entre la beauté du discours et les actes concrets.
C’est regrettable, car en jetant le bébé avec l’eau du bain, notre société et les individus qui la composent se privent des trésors culturels et spirituels charriés par les millénaires de tradition. On se prive d’une mémoire collective dont on aurait bien besoin pour structurer notre imaginaire dans la période troublée que nous vivons, pour résister aux sirènes du matérialisme et pour trouver les forces intérieures dont on a besoin quand tout vacille.